lundi 20 juin 2016

Cher moi, je vais rompre ma promesse

  Depuis un an, cela me travaille. En 2014, j'ai souffert durant une année d'un travail (et d'un supérieur histrionique). Durant un an, j'ai serré les dents. En contrat aidé, payée par l'Etat mais employée d'une petite structure, j'ai été humiliée, rabaissée quotidiennement, passée à la moulinette heure par heure à coup de remarques blessantes et ironiques, de piques. Depuis, j'ai développé une espèce de phobie du monde du travail, j'ai beau me raisonner, comparer à ce que j'ai parfois pu vivre avant. Parce que oui, avant la crise (au début, car j'ai eu mon diplôme en même temps que la crise), j'ai eu des boulots idylliques: 35 h, collègues sympas, équipe soudée, chefs humains, bonne paie (un smic à temps complet quoi! Oui, pour moi, c'est un bon salaire!!!).

  Bref, depuis un an et demie, ça me travaille, je rechigne, je sélectionne drastiquement les annonces, je torpille les entretiens quand je ne le sens pas et que mes alarmes s'allument. J'y ai cru à ce long CDD qui me mettrait le pied à l'étrier, j'ai savouré le temps libre, la paix, de faire ce que j'ai envie. Et puis, au fil du temps, j'ai lâché peu à peu: pas d'aide de pôle emploi et la peur d'un contrôle, pression de l'entourage qui me demande "tu travailles?" "Tu ne t'ennuies pas?" mais jamais "Tu vas bien?" "Tu fais quoi de ton temps libre?" au lieu du culpabilisateur "Mais, du coup, tu fais quoi de tes journées???". Je pensais naïvement que j'allais retrouver un petit CDD tranquille pour me remettre dans le bain qui aboutirait sur un CDD plus long, etc. Je l'ai trouvé ce CDD tranquille, j'ai fait en un jour et demie ce que je devais faire en 3 jours (durée du CDD). Résultat, comme le contrat était signé, ils m'ont occupée pour la durée de travail restante ce qui les a menés à prolonger le CDD d'un jour. Eux, ils étaient super contents, j'avais bien "bossé" et fait plus que prévu. Moi? Je me suis ennuyée comme un rat mort à me chanter des chansons et me raconter des histoires dans ma tête, j'ai eu l'impression de ne pas avancer du tout, d'être mal organisée, lente au possible. Bref, j'ai pris mon chèque et j'ai dit "Plus jamais ça!". Si je meurs intérieurement au bout de 4 jours, comment tenir 40 ans à ce rythme? Je l'ai déjà dit mais une journée, c'est long, très très long! 

  J'ai entamé un long travail de deuil. Je ne me suis jamais imaginée passer 40 ans à 35 heures par semaine à m'emmerder. Ca ne se forme même pas dans ma tête, enfin, si, une sorte de créature de Frankenstein, désincarnée et déshumanisée. Très tôt, j'ai compris que si je ne travaillais pas à l'école, je finirais comme ça. Dès le C.P., c'était intégré. Ma mère me l'avait dit comme toutes les mères "si tu ne travailles pas à l'école, tu ne feras pas le métier que tu veux plus tard.". Mais moi, je l'ai crue! Elle a beau être toxique, elle n'a pas que des défauts, loin de là.


 J'ai travaillé à fond toute ma scolarité, passé mon bac, travaillé pour avoir de bonnes notes, passé des concours, travaillé à l'école d'études paramédicales, souffert en stage, pris une année sabbatique de stages pour faire autre chose, souffert le martyre durant mes deux années de B.T.S. avec des gamines de 18 ans (ce n'est pas de leur faute, elles avaient la mentalité de leur âge mais étant bien plus âgée, vivant en couple et ayant pas mal galéré déjà, je n'ai jamais vraiment réussi à m'intégrer). Je l'ai eu ce diplôme après deux ans à être traitée comme une lycéenne par les profs qui vérifiaient qu'on avait bien fait nos exercices et qui me mettaient souvent au tableau pour expliquer comment j'avais fait (je relisais et apprenais le cours mais face à mes exercices, je faisais "à ma sauce" sans suivre strictement le cours, donc j'avais fait différemment). Avec les "Mais Madame, c'est où dans le cours?/pas dans le cours!". Sauf que je n'ai jamais vraiment pu faire autrement à part avec les "trucs" qui ne m'intéressaient pas (maths/ physique) où j'appliquais bêtement parce que je n'y comprenais rien (je n'ai jamais vraiment cherché, en fait, vu que ça ne m'intéressait pas!). La chimie, je m'y suis mise le jour où le programme m'a intéressée soit à... 2 ou 3 ans du bac. Je crois me souvenir que j'ai dû plus ou moins reprendre le programme des années précédentes (ça allait, je travaillais même sans enthousiasme et sans bien comprendre donc je n'ai pas eu trop trop de mal à raccrocher les wagons). 

 Sauf que tout cela fut vain! J'ai travaillé pour mon bac et mon B.T.S. en passant pour une folle, je ris en me souvenant des yeux effarés de mes camarades lors des dernières semaines: "T'en es où en telle matière?" "je suis au chapitre tant" bien en avance sur elles. Chapitre révisé à chaque contrôle égal chapitre survolé lors des révisions finales avec quelques exercices d'application du cours. Donc il ne reste que les derniers chapitres à apprendre, oui, ceux qui sont faits en accélérés en fin d'année!

  Je m'étais promis de bien travailler à l'école et de ne JAMAIS faire de boulot "pourri" sauf en dépannage, de réaliser mes rêves. Une réorientation, un marché du travail tendu plus tard, je vais rompre cette promesse. J'ai essayé par le passé mais je n'ai jamais pu. J'ai trop souffert humainement de me sentir broyée de l'intérieur heure par heure. Sauf que je ne trouve pas, que je suis épuisée physiquement et surtout psychologiquement, que le manque d'argent me bloque dans la vie, je m'ennuie, je n'ai pas de projets (vacances ou autre) par manque d'argent. Alors oui, j'ai du temps, c'est un luxe que j'ai su apprécier à sa juste valeur mais si j'ai pu me cultiver, lire, regarder des films, des documentaires, sortir et m'enrichir sur le plan personnel et intellectuel ou juste passer un super moment devant un dessin animé, un film drôle ou un film d'horreur, ça commence à me lasser. Je veux bien être positive mais à un moment, ça devient dur. Je ne vois personne ou presque, je suis en vacances permanentes (j'ai su l'apprécier à sa juste valeur mais ça commence à faire de longues vacances, je suis un peu jeune pour la retraite...) et le manque d'argent me bloque dans mes projets et mes envies. 

  Alors, tant pis, j'ai décidé de me consacrer à une ou deux passions, un truc qui me motive à fond à faire d'énormes sacrifices. Retrouver du travail me permettra de financer ces passions. Même si je m'ennuie comme un rat mort, je pourrai penser à ces passions, imaginer ce que je vais faire, le matériel que je vais acheter, le déménagement avec un atelier... L'écriture sans doute; la création de bijoux/ accessoires divers; du dessin ou de la peinture peut-être; de la musique éventuellement; beaucoup de lecture et de visionnage de documentaires et de films. Je suis un grand enfant, j'aime les histoires vraies ou imaginées. Voyager, sortir, enfin partir en vacances, déménager sont autant de motivations pour rompre cette promesse. 

  Ce deuil m'a pris un an et demi, comme sont longs à mourir nos rêves et espoirs d'enfant.