lundi 7 mai 2018

Je ne veux plus travailler

  C'est dit, la coupe est plus que pleine. Le monde du travail est de plus en plus difficile et déshumanisé au possible. Depuis un an et demie, les employeurs sont pour la plupart juste... cons, en fait. Je ne suis jamais autant tombé sur des gens soupçonneux, ignobles et juste pas humains. Je vois de plus en plus d'annonces façon "foutage de gueule" typiquement un cdi à temps très partiel (10 h) payé au smic qui demande une liste de diplômes longue comme le bras et une longue expérience (plus de 5 ans) pour un poste avec des défauts, on va dire. Me faire venir en entretien pour me faire "démonter" mon cv et mon parcours que je n'ai pas choisis ou me dire au bout de dix minutes que mais "vous ne savez pas faire ça?". Oui mais mon coco ce n'est pas noté sur mon cv et tu ne m'as pas posé la question au téléphone; merci de m'avoir fait venir, j'avais autre chose à faire que de perdre une demi-journée pour ça!

  Et quand je trouve un emploi; soit on ne me forme pas du tout en mode "tu te débrouilles", on me laisse en plan parce que "je n'ai pas le temps" et à la fin de la journée, on me dit "au revoir". Je ne comprends pas bien la chose, vu que la personne va perdre encore plus de temps à recruter quelqu'un qu'elle ne va pas garder (quand on est la troisième sur le poste en quelques jours, ça pose question).

  Et si c'est moi qui est en recherche d'emploi, dans 90 % des cas : les mails automatiques comme quoi au bout de x temps, si on n'a pas de réponse, c'est niet; ce n'est pas terrible mais ça ne se fait même plus. Rappeler suite à un entretien ou envoyer un mail comme quoi blabla, je ne vous prends pas, bonne chance, ça se fait de moins en moins, on est passé au "si d'ici ce soir, vous n'avez pas de réponse, considérez que c'est non". Le recruteur ne prend même plus la peine de donner une réponse! Je me déplace, la personne prend le temps de me recevoir, j'ai pris le temps d'écrire une lettre, de perdre une heure en entretien; le minimum syndical, c'est de prendre cinq minutes pour donner une réponse, désolée mais il ne faut pas exagérer non plus. D'ailleurs, j'ai décidé de ne plus me laisser faire sur ce point, zut à la fin! Désormais, je répondrai "dans ce cas, envoyez moi un email", ça ne prend pas longtemps si le recruteur gère correctement sa liste de diffusion et son mail commun. Un peu de respect à la fin!

  Trop, c'est trop, je ne me vois pas d'avenir dans le monde du travail actuel qui va à l'encontre de mes valeurs et de ma façon de faire. L'humain n'est pas un produit de consommation qu'on jette à la poubelle une fois qu'on n'en veut plus, je ne suis pas un robot, j'ai des sentiments, je m'implique, je fais au mieux, le chômage est une période difficile (solitude, pauvreté, impossibilité d'envisager un avenir, épuisement); le minimum, c'est de se montrer correct. Oui, la situation économique et sociale est difficile et avec notre gouvernement, ça ne va pas s'arranger. Au contraire, on devrait se serrer les coudes, non? Dire "je ne vous prends pas mais je vous souhaite bonne chance" par téléphone, ça coûte quoi à la fin si ce n'est deux minutes de son temps? Et ça fait chaud au cœur à la personne recalée, elle se sent considérée et prise en compte. Des fois, je "balance" une lettre de motivation parce que je sais que je n'aurai pas de réponse; à quoi bon perdre une heure à l'écrire, franchement? Ou une annonce qui ne donne pas d'information (ça existe! Et j'en vois de plus en plus! On a le lieu, le salaire, le nombre d'heures hebdomadaires, la fonction mais aucune information sur le poste "secrétaire, Rennes, 35 h, CDD deux semaines". Mais encore? C'est vaste secrétaire et puis, ça fait franchement, "je m'en fiche, j'aurai de toutes manières des bonnes poires pour envoyer un cv"; le pire, c'est quand la personne précise qu'il faut envoyer une lettre de motivation).  

  Bref, je n'ai plus envie de me casser la tête à chercher du travail pour pas grand chose. Je le fais uniquement par devoir (l'état me verse des allocations, il est normal que je cherche) et peu à peu, je me résigne à faire certainement toute ma vie un travail absurde qui me permettra de mettre de l'argent de côté, financer mes loisirs et construire un avenir (maison, m'offrir le mariage de mes rêves, avoir des enfants sans craindre pour leur avenir ou leurs études). Mais pour ça, je dois d'abord réorganiser ma vie autour de ce que moi, j'ai envie de faire (écrire, jouer de la musique, partir à la découverte du monde et de sa richesse culturelle); après seulement, je pourrais me mettre à la recherche de mon poste de forçat (sauf si ô miracle, je trouve le travail de mes rêves).

 C'est plus qu'un deuil, c'est la mort de mes idéaux, de ce en quoi je crois, de la personne que je suis et mon Dieu que c'est long, c'est une sorte de suicide à petit feu parce que donner dix heures par jour à quelque chose qui n'a pas de sens ou qui nous broie, ça demande un certain degré d'abrutissement pour survivre à la douleur. Alors, laissez-moi du temps, ne soyez pas sur mon dos à me pousser à chercher du travail. On n'est pas dans 1984, je n'ai pas de police de ma pensée pour me rééduquer à marche forcée. Je dois d'abord laisser mourir mes idéaux, mes rêves et mes valeurs pour faire ce que j'ai toujours refusé de faire: travailler pour l'argent. L'argent qui pour moi, n'a ni réelle valeur ni sens si ce n'est m'offrir la sécurité et des loisirs; l'argent n'est que ce que j'en fais. Pourrais-je faire un travail que je n'aime pas pour un smic? C'est là que le bât blesse, on ne va pas loin avec un smic, ça améliore l'ordinaire, c'est tout. Perdre 200 heures par mois pour 1 200 € alors que je peux en avoir 525 en étant totalement libre de mon temps et avoir ces 200 heures pour faire des choses qui ont du sens pour moi, ça mérite réflexion. La majorité des gens y parvient et apparemment, ne semble même pas se questionner là-dessus; quelque part, c'est normal et intégré. Mais moi, je ne peux pas, je réfléchis, je soupèse, j'imagine, je compare pour finir par ruer dans les brancards.

  C'est là que je bloque depuis des mois mais j'y viens peu à peu. Mais j'aimerais que la personne qui me suit sur le plan professionnel en ce moment le comprenne et me laisse faire mon deuil tranquillement sans me pousser à chercher à tout prix du travail, j'ai besoin de panser mes blessures et d'organiser ma vie autour de mes loisirs et des choses qui comptent pour moi pour intégrer que c'est ça ma vie, que la sécurité apportée par un emploi même absurde et avec des gens qui ne m'acceptent pas comme je suis en valent la peine pour l'unique raison de me permettre de faire ce que j'aime sans compter mes piécettes. Parce que ce qui compte plus que tout, c'est l'écriture et la musique. C'est ma raison de vivre et le reste n'est qu'un mauvais moment à passer.
Parce que 218 jours de travail à dix heures par jour (en comptant le trajet et le midi), ça fait 2 180 heures par an que je vais, peut-être si le destin ne veut pas, passer à faire un travail absurde pour un smic. Il faut 10 000 heures de travail pour maîtriser un domaine, dit-on, c'est bête mais je préfère passer 10 ans à maîtriser quelque chose que j'aime avec un travail à mi-temps que mettre 20 ans avec un travail à temps complet et perdre mes rêves de vue. Je sais qu'à raison d'une demi-heure par jour sur mes loisirs, ça revient au même. Laissez-moi m'organiser, réfléchir à comment optimiser mon travail personnel pour garder cette respiration dans ma vie, la seule chose qui me fait vibrer et me donne du plaisir.

Laissez moi, un mois ou deux pour trouver comment travailler à temps presque plein et avoir le temps d'écrire (une heure par jour) et jouer du violon et du piano (une heure par jour soit une demi-heure de chaque) car avec une famille, plus serait déraisonnable et ça veut dire le faire entre 22 h et minuit en me levant à 6 h (mais je suis moins fatiguée en dormant 6 h par nuit que 8 h pour avoir testé par le passé; à l'époque, la difficulté était de m'occuper).  Laissez moi faire mon deuil et trouver les solutions pour ne pas laisser mourir ce que je suis et laisser s'étioler mes rêves. Laissez-moi trouver comment gagner en efficacité et donc du temps car le plus dur, c'est d'intégrer les bases; l'apprentissage, une fois fait ne sera plus à faire. Ne me pressez pas,  est-ce si difficile à entendre? Ce n'est pas de la paresse ou que je ne veux pas; c'est que je ne peux pas, je refuse de perdre le bénéfice de ces années passées à savoir qui je suis et ce que je voulais faire de ma vie, patiemment mettre de l'argent de côté pour m'offrir ces loisirs. Une fois rassurée sur ces points, mon cœur cessera peut-être enfin de saigner à cette idée et mon cerveau de se révolter.

Alors, laissez-moi faire mon deuil en paix; laissez-moi rater ma vie professionnelle tranquillement et à mon rythme pour mieux réussir ma vie personnelle. Je ne suis plus à quelques mois près, non?


"La vie n’est pas un système logistique destiné à soutenir l’art. C’est le contraire."
(Ecriture, Mémoires d'un métier de Stephen King)